Flux et Reflux : Diaspora Africaine
Au cours de ses innombrables allers et venues entre l'Afrique et Bahia, Pierre Verger ne cesse de s'émerveiller des similitudes entre les peuples qu'il côtoie, de part et d'autre de l'Atlantique: apparence physique, façon de parler, démarche, coutumes, à travers lesquelles il voit la preuve tangible d'histoires entrelacées. Ce thème le passionne tellement qu'il en arrive à jouer un rôle essentiel dans le rétablissement des liens entre l'Afrique Occidentale et Bahia. Ici et là, il organise des musées, reçoit et guide de nombreuses personnes, transmet des messages, effectue des recherches comparées. Et pour comprendre en profondeur les raisons historiques de ces ressemblances, il se consacre pendant plusieurs dizaines d'années à l'étude du trafic d'esclaves, qui arracha des millions d'Africains à leur terre natale, les transporta vers les Amériques et, après l'abolition, causa le retour vers l'Afrique de nombre de leurs descendants. C'est ainsi qu'il élabore une de ses principales oeuvres: Flux et Reflux du Trafic des Esclaves entre le Golfe du Bénin et la Baie de Tous les Saints.
La recherche commence en 1949, à Ouidah, lorsque Verger accède à un important témoignage sur le trafic clandestin d'esclaves vers Bahia: les cartes commerciales de José Francisco dos Santos, écrites au XIXe siècle. Il découvre progressivement que, dans les dernières années du trafic, les esclaves étaient presque exclusivement des Yoruba, que le tabac servait de monnaie d'échange et que l'intensité de ce commerce était abominable: "Les agents du trafic destiné à Bahia eurent d'étroites relations avec cette partie de l'Afrique. Certaines années, on enregistrait une centaine de navires allant et venant entre le port de Ouidah et la Baie de Tous les Saints".
Il fallut environ vingt ans de recherches avant que le texte ne soit prêt. En 1966, Flux et Reflux du Trafic des Esclaves entre le Golfe du Bénin et la Baie de Tous les Saints est présenté à la Sorbonne, qui décerne à Verger, autodidacte expulsé de deux écoles pour indiscipline et qui mit un terme à sa scolarité à l'âge de 17 ans, le titre de Docteur en Etudes Africaines. La thèse est publiée deux ans plus tard, en 1968. En 1976, la version anglaise paraît. Ce n'est qu'en 1987 que l'ouvrage est traduit en portugais et publié au Brésil par les éditions Corrupio.
Flux et Reflux est devenu un ouvrage de référence. Au long de ses 718 pages, il propose une étude minutieuse qui met au jour des aspects d'ordre économique, social et politique qui jusque-là n'avaient jamais été abordés. Verger ne ménage pas ses efforts: il décrit les relations commerciales, traite notamment des rébellions d'esclaves, des formes d'émancipation, des conditions de vie, de la législation, du retour vers l'Afrique et de la vie des descendants de Brésiliens. Transcrivant littéralement nombre de documents consultés dans des archives à Londres, Lisbonne, La Haye, Rio de Janeiro et Lagos, il fournit ainsi le plus historiographique de ses livres.
"Beaucoup de Noirs, en revenant libres en Afrique avec des coutumes brésiliennes, y firent une sorte de Brésil, tout comme s'était formée à Bahia une sorte d'Afrique", dit Verger, qui considérait essentiel le rétablissement des liens entre ces peuples frères. Avec Flux et Reflux, divers articles et d'autres initiatives, il a activement contribué à ce rapprochement. Et, de fait, l'oeuvre de Verger a promu et continue de promouvoir de nombreuses avancées dans ce domaine, car elle demeure l'une des sources d'information les plus importantes pour les Bahianais et les Africains qui désirent mieux connaître leur propre histoire.