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Accompagner Pierre Verger

Discussions avec Nondichao Bachalou, assistant de Pierre Verger à Abomey.
Par Marlène Biton (CNRS, Paris)  - Abomey, Bénin, décembre 2005

En avril 1989, Marlène Biton, affectée au Musée de l'Homme à Paris, dans une équipe CNRS, rencontra pour la première fois Nondichao Bachalou qui fut l´assistant de Pierre Verger au Bénin. Cette rencontre se déroula alors que Marlène Biton réalisait un inventaire des bas-reliefs d´Abomey pour sa thèse, ainsi que des repérages pour une exposition d'objets dahoméens du Musée de l'Homme. Cette exposition devait se tenir en décembre dans les bâtiments du Musée Historique et Royal d'Abomey, dans le cadre du centenaire de la mort du roi Glélé (1889-1989). C'est dans ce contexte que Marlène Biton connut Nondichao Bachalou, historien traditionaliste, à cette époque guide conférencier et documentariste au Musée historique d'Abomey. Depuis lors, une correspondance et des rencontres fréquentes entre Mme Biton et M. Bachalou s´instaurèrent et les discussions reportées ici en sont l´un des fruits.

A la demande de la Fondation Pierre Verger, formulé en 2005, j'ai formalisé par écrit les renseignements que M. Nondichao Bacharou a bien voulu me fournir sur Pierre Verger. À l'occasion d'un voyage en décembre 2005, dont le but était de participer à la préparation du centenaire de la mort du roi Béhanzin, qui aura lieu en décembre 2006, j'ai eu l'opportunité de m'en ouvrir à Bachalou qui en a tout de suite accepté le principe. C'est pour lui sa participation, son hommage à la mémoire de Pierre Verger, qui a tant apporté à la connaissance des populations du Dahomey.
Pour cela nous avons eu des entretiens sur ce sujet, en particulier les 12 et le 13 décembre 2005. Nous avions eu souvent déjà l'occasion d'en parler -mais pas de manière aussi approfondie- auparavant à lors de séjours antérieurs au Bénin en 1989, 90, 97, ainsi que par de nombreux courriers échangés pendant toutes ces années.

Donc, les renseignements fournis ici ont été donnés par M. Nondichao Bachalou pour faire connaître le travail qu'il a effectué avec le photographe français Pierre Verger pendant les années 1955-58 à Abomey ex-colonie française du Dahomey et les rapports qu'ils ont entretenus durant ces trois années.

Nondichao Bachalou

Tout d'abord, qui est Nondichao Bachalou ? Il est né le 22 novembre 1937 au quartier Hontoundji chez les Malé (Musulmans). Il a aujourd'hui 68 ans, c'est un homme de taille moyenne, plutôt mince, à l'allure toujours digne et dont le visage s'éclaire d'un magnifique sourire. Il possède une grande connaissance de son histoire et de ses valeurs. On pourrait dire de lui que c'est un homme droit, compréhensif et cependant exempt de toute naïvete.
Son père, Abdou Nondichao dans le civil était chef de gare à Huegbo. Retraité des transports il reprit du service et travailla comme secrétaire au Wharf au port de Cotonou pour plusieurs maisons de commerce en particulier, la CFAOB (Cie française pour l'Afrique occidentale) et pour la SCOA (Société commerciale pour l'Afrique de l'Ouest).
Mais surtout Abdou Nondichao est aussi un descendant direct du roi Kpengla (1777-1789), de la quatrième génération après son royal ancêtre. Kpengla avait désigné officiellement un de ses fils pour être le représentant de la royauté -ainsi que ses yeux et ses oreilles- auprès des musulmans de passage ou s'installant dans ses états. Ce qui lui valu son nom, Nondichao, qui fut ensuite transmis à ses descendants.
Abdou Nondichao avait été intronisé auprès des autorités traditionnelles, comme chef de la communauté des musulmans d'Abomey, "da" ou "ba" ou encore "Sheriqi" et comme historien officiel. Avec Gaï Adounwe, fille de Ada Adounwe, à qui il substitua à son prénom de naissance, celui de femme, Awaou (Eve), ils eurent six enfants dont Bachalou fut le petit dernier.
Nondichao Bachalou fit ses études à Abomey, et semble avoir été un bon élève qui donnait satisfaction à ses maîtres et à son père. Ce dernier, Abdou, de par sa position traditionnelle était détenteur de nombre d'informations, aussi il collaborait comme informateur et historiographe avec le Directeur du Musée historique d'Abomey, Paul Mercier, puis ensuite avec Jacques Lombard. Il montra les bulletins scolaires de son fils et fit part au Directeur du Musée de ses craintes concernant le fait que malgré de si bons résultats, son dernier enfant dût bientôt être intégrer l'armée pour faire son service militaire. Ce qui à ses yeux était …"un métier de péché".
Jacques Mercier, au vu des capacités du jeune garçon, en particulier sa facilité à traduire du fon en français et inversement, vit l'intérêt qu'il pourrait en tirer et répondit positivement à la demande du père. Il engagea le fils au Musée, mais comme animateur bénévole non rémunéré, en substitution au service militaire.

Leur collaboration

Sur le même site, à cette époque travaillait Pierre Verger, photographe bien connu. Il était affecté au Musée historique d'Abomey au service de l'IFAN (Institut français d'Afrique noire). Il commençait à se faire vieux, sa retraite approchait.
Jacques Mercier eut alors l'idée d'affecter notre jeune homme au service photographique auprès de Pierre Verger, pensant certainement que Nondichao apprendrait beaucoup auprès de lui et que le vieux photographe, de son côté, serait peut-être content de bénéficier de l'aide d'un assistant.
Et le courant passa, puisqu'ils travaillèrent ensemble durant trois années de 1956 à 1958, et ce, jusqu'au départ de Pierre Verger pour le Brésil.

L'initiation de Bachalou Nondichao

Nondichao dit avoir été sur le plan religieux à ce moment, un novice et de ce fait ne pas pouvoir suivre Verger lors de certaines cérémonies. Pierre Verger, de son côté, était connu de tous les féticheurs de la région, car il avait été initié par Alphonse Legonou, un grand féticheur très célèbre, qui était devenu un proche.
Pierre Verger va alors s'employer à patronner Nondichao pour qu'il passe les divers degrés de l'initiation et l'accompagne ainsi partout. A cet effet, il prendra tous les frais à sa charge. L'initiation était nécessaire pour pouvoir être présents ensemble, entrer dans les différents couvents de la région et ainsi faire son travail l'un de photographe et témoin, l'autre de traducteur et accompagnateur. En effet, me précise Bachalou, une fois initié, on peut entrer dans n'importe quel couvent à partir du moment où son couvent d'origine est reconnu intégralement.
Nondichao fut alors initié à Tohossou (un culte royal spécifique d'Abomey) au quartier Lego par Miwedé, le prêtre féticheur de ce culte. Il pouvait désormais entrer où il voulait sans avoir à donner de "mot de passe".

Le travail quotidien

Verger habitait alors la maison de l'IFAN située à 200 m environ de l'entrée principale du Musée (celle du roi Gézo, 1818-1858). Cette maison ancienne était celle du Méhou du temps de la royauté, et abritait récemment encore le service de l'iconographie du Musée.
Le Mehou était un ministre chargé de la famille royale et de plus, il logeait les voyageurs en visite à Abomey chez lui. Ils demeuraient là, attendant le moment où une audience serait accordée par le souverain.
Nondichao, qui a dix-neuf ans, habite chez son père, pas très loin de la maison de l'IFAN.
Il dit arriver tous les matins chez Pierre Verger vers 8 h. Ce dernier se lève plus ou moins tôt en fonction du fait d'avoir pu faire -ou pas- une sieste la veille. Quelquefois, s'il est là plus tôt ou si Verger n'est pas levé, le jeune homme peut lui apporter ou aller lui chercher de quoi déjeuner. Il va donc à l'occasion chercher du pain frais et quelquefois ils déjeunent ensemble.

Ils partent avec le matériel dans une camionnette Peugeot 203. De temps en temps, ils sont accompagnés par une troisième personne. Il s'agit soit d'un informateur qui s'occupe plus précisément des problèmes religieux, soit d'un autre traducteur (je suppose que c'est pour traduire le yorouba, car Nondichao est fon), mais son nom ne lui revient pas en mémoire. Il est mort aujourd'hui, mais a un fils aveugle qui habite toujours à Ishedé, région de Pobé.

En ce qui concerne le travail, l'organisation semble au point. La veille, Verger a annoncé le programme du lendemain. Aussi Nondichao connait sa tâche: elle consiste à préparer le matériel adéquat à l'opération annoncée et à en être le gardien fidèle, soit le responsable des appareils et des divers sacs de travail.
Généralement ils partent le matin, le matériel composé en fonction du programme de la journée, avec le sac aux appareils, un chargeur de pellicules un stock de plus de 100 m (qu'il fallait couper), un coffret avec des cartouches et des "desséchants".
Nondichao prépare en plus, la « valisette », une mallette en bois pour la nourriture de la journée, qui comprenait : lait, sucre, pain, eau, cacahuètes, mais grillé, etc… Et outre, les appareils pour l'expédition, du papier à écrire pour prendre des notes, tous les accessoires dans un autre sac. Verger prépare son sac personnel en cuir marron.
Ils mangeaient peu le midi, surtout du maïs grillé, Nondichao buvait de l'eau mais Verger buvait du « chapalo », sorte de bière locale. Aussi, il avait besoin de se reposer en début d'après-midi autrement il dormait un peu plus le lendemain.
Le programme avait été concocté à l'avance car Pierre Verger était prévenu en temps et en heure de toutes les cérémonies religieuses ou non par ses amis et en particulier son ami le féticheur. Il était en très bonnes relations avec l'ensemble des féticheurs de quelque importance dans la région, tels Da Miwele, (féticheur de Tohossou), Da Anagoko (féticheur de Sakpata) et Da Adowanon (féticheur de Sakpata également). Aussi grâce à eux, sur son agenda qu'il emportait dans son sac personnel, Verger notait d'avance, les cérémonies de toutes natures et les dates auxquelles elles étaient programmées.

Leurs secteurs

Avec Nondichao ils partaient la plupart du temps pour les environs d'Abomey et l'ensemble de sa région ou pour les régions Nago proches (Yorouba du Dahomey). Ils partirent ainsi souvent à Pobé, Sakété, Kpedekpo, Kétou, Irokoni, Adjahuele, Massé, mais pouvaient aller bien plus loin, quelquefois, ils sont allés jusqu'à Parakou.
Verger était intéressé aussi par Tanguieta, Natitingou, les collines mahi, mais il délaissait le nord du Dahomey car d'autres photographes tels Cocheteux, Dresh..., travaillaient ou avaient déjà travaillé pour l'IFAN sur ces régions.
De plus, comme le précise Nondichao, comme Verger n'était pas initié chez les Bariba ni chez les Djendjis, le travail qui y aurait été fait n'aurait pas eu la même acuité, quoiqu'il y fut bien accueilli.
Aussi Verger se  destinait plus particulièrement au grand sud.

Verger l'Homme

Nondichao questionné à ce sujet, décrit Pierre Verger comme un homme de taille moyenne, le crâne dégarni sur le haut et les cheveux touffus à l'arrière.
Il était très accueillant, très ouvert. Il le traitait comme s'il était son fils et lui comme s'il était son père. Il n'a jamais été en colère, jamais grondé, jamais "montré de visage furieux" envers lui.
Nondichao le qualifie de débonnaire et dit que c'était un homme sans colère. Un homme bon.
A ses yeux, il était "trop" travailleur, il ne se reposait jamais assez. Il ne faisait pas assez attention à lui, à sa santé. Nondichao avait peur qu'il ne tombe malade. En particulier, il buvait dans les verres des autres féticheurs, et Nondichao lui avait conseillé de boire dans un verre qui aurait été exclusivement le sien, mais lui ne voulait pas, et voulait faire comme tout le monde dans les sociétés où il était introduit. Il ne pas buvait d'alcool européen mais -comme déjà signalé plus haut- les alcools locaux et particulièrement la bière, le chapalo.

A cette époque Nondichao était très jeune et donc très respectueux. Il avait cependant noté que Verger n'était jamais entouré de femmes ou d'amies comme les autres européens de l'IFAN ou du Musée, et s'en étonnait, mais il n'a jamais osé lui en faire la remarque.
Aussi à la question que je lui pose clairement, à savoir si Verger fréquentait quelques hommes ou un homme en Afrique, Nondichao me dit qu'il n'a jamais eu connaissance d'une telle chose, en tout cas il ne l'a jamais vu.

Verger d'après son souvenir pendant ces trois années est resté la plupart du temps à Abomey. Il a fait quelques séjours à l'étranger. Les plus longs, lui semble-t-il, une fois par an en France. Eventuellement ailleurs mais quelques semaines tout au plus. Pour Nondichao, il lui semblait que c'était surtout pour se reposer, car il avait l'air fatigué.
Pour le travail, Verger est parti à Dakar pour un temps assez long et aussi aux Amériques, en Haïti et au Brésil pour faire des comparaisons avec le golfe du Bénin et le Dahomey.

 Le départ de Pierre Verger

Pierre Verger est parti définitivement en 1958 pour prendre sa retraite qu'il voulait passer au Brésil. Il n'est revenu que pour un temps très court à Abomey après cette période et là il n'a pas travaillé.
Quand Verger est parti, il a laissé à son jeune assistant une bonne partie de son matériel photographique lui disant que c'était trop lourd pour lui, qu'il n'avait plus de place et que Nondichao en ferait un meilleur usage que lui. Nondichao devient par la suite documentariste au Musée d'Abomey et responsable du service photographique.
Comme ils partageaient aussi leurs repas, Verger lui a laissé quelques meubles dont sa table, que Nondichao a toujours gardé.
Nondichao me dit qu'à ses côtés, il s'instruisait et se cultivait. Il apprenait dans tous les domaines, aussi bien en ce qui  concernait la technique, que sur le plan religieux. Il était sur les routes, il rencontrait beaucoup de gens, de toutes sortes de cultes, de milieux. Cette période avec Verger fut pour lui celle d'une formidable ouverture sur le monde, avec un homme qui fut comme un second père pour lui.

Lombard avait nommé Nondichao "petit" et c'est comme cela que Verger l'appelait également. Aux cérémonies de Ouidah 93, Nondichao étant invité, il y rencontra Verger qu'il n'avait plus vu depuis plus de 36 années. Verger l'avait reconnu et lui a parlé. Il lui a passé la main dans les cheveux lui disant "Petit tu veillis aussi"... et embrassé sa tête légèrement. Les féticheurs présents se sont inclinés devant lui, il était très ému dit-il. Il l'était encore me rapportant cette scène qui avait pourtant eu lieu onze années plus tôt.

Pour lui, dit-il en résumant « Verger était un africain né en France ».